Life 2.0

Je ne suis pas bon à nommer les versions, ainsi je dirais juste que nous sommes à Life 1.x et que nous allons vers Life 2.0. Le nous signifie l’humanité, pas nous sur ce forum, pays, continent (il faut que je change de continent, qu’est-ce que je fais encore en Europe ?).

La question n’est probablement pas si Life 2.0 sortira un jour, mais quand la nouvelle version sera disponible. Et je peux vous dire que je l’attends avec plus d’impatience que le iPhone, c’est dire…

Réécrire le software nécessaire pour faire une cellule vivante, sans le bordel qui s’y est accumulé à cause du processus évolutionnaire, est un objectif qui a dû germer dans plus d’un esprit. Et on y arrivera.

En attendant, Life 1.x est disponible. Et je devrais peut-être explicité en présentant Life 1.x.y.z, avec les indices y et z polymorphes. Je me limiterai en quatre exemples :

Les OGM archaïques, ceux qui ne subissaient que des micro-variations; du tripatouillage des promoteurs pour réguler le taux d’expression de certaines enzymes et ainsi optimiser les productions de telle ou telle substance d’intérêt commércial.

Les divers OGM, qui habituellement ne contiennent qu’un petit nombre de gènes additionnels leur conférant des caractéristiques intéressants. C’est la partie qui commence à être banale et qui anime les passions. Ca passera.

Les OGM disponibles dans les laboratoires. Il y a un paquet ! J’en ai produit des millions et j’en utilise des milliards 🙂 Ils sont d’une banalité incroyable par madame/monsieur-tout-le-monde.

Les OGM « programmés » comme celui que construit Jay Keasling, destiné à produire de l’artemisinine. Proches de Life 1.9.

La dernière famille et les tentatives pour 2.0, qui sont déjà en cours chez SynBio, suscitent des réactions qui vont de l’enthousiasme pure (chez moi par exemple) à l’ire la plus pure (chez le pape par exemple, quelle patate quand même B-16 : « Pope Benedict XVI has expressed outrage at scientists who ‘modify the very grammar of life as planned and willed by God.’ The pope elaborated in an address in 2006: ‘To take God’s place, without being God, is insane arrogance, a risky and dangerous venture.' ») avec tous les intermédiaires que l’on pourrait imaginer. Mais ce sont là des détails. Cette semaine, dans Newsweek, associé au papier qui présente les tentatives pour Life 2.0, un essai pas Rudy Rucker (pour ceux qui ne le connaissent pas, prof émérite d’informatique de San Jose University et auteur de science-fiction), intitulé « Our Synthetic FuturesWhat might happen if we repurpose biology to our own ends?« .

N’y aurait pas eu les paragraphes 2 et 3, j’aurais rangé cet essai avec tous les autres qui oscillent entre futurologie et science-fiction et que j’affectionne particulièrement. Mais il y a bien ces deux putain de paragraphes. Qui lui confèrent un sérieux qui mérite que l’on s’arrête et qu’on y réfléchisse :

One big worry is what nanotechnologists call the “gray-goo problem.” What’s to stop a particularly virulent SynBio organism from eating everything on earth? My guess is that this could never happen. Every existing plant, animal, fungus and protozoan already aspires to world domination. There’s nothing more ruthless than viruses and bacteria—and they’ve been practicing for a very long time.

The fact that the SynBio organisms are likely to have simplified Tinkertoy DNA doesn’t necessarily mean they’re going to be faster and better. It’s more likely that they’ll be dumber and less adaptable. I have a mental image of germ-size MIT nerds putting on gangsta clothes and venturing into alleys to try some rough stuff. And then they meet up with the homies who’ve been keeping it real for a billion years or so.

Il y a deux problèmes distincts à considérer et qui correspondent aux deux paragraphes.

Les organismes existants se connaissent et se mesurent dans des schémas proie-prédateur, hôte-parasite ou symbioses, génération après génération, depuis longtemps. Ils ont co-évolué. Je ne pense pas que les nouveaux venus réussissent à dominer le monde à leur dépens. Mais ils pourraient foutre le bordel le temps qu’ils soient circonscrits, juste un coup, par surprise. Allez, quelques espèces qui pourraient disparaître au passage. En espérant que H. sapiens n’en fera pas partie, directement ou indirectement.
Je devrais peut-être ajouter que je ne vois pas une seule forme de vie qui aspirerait à faire autre chose que d’être le parasite de toutes les autres 🙂 C’est ça dominer le monde. Si le biome me versait 0,1% de l’énergie qu’il brasse, je serais une espèce riche ! (je suis partageur, et alors ?!)

L’analogie entre les MIT nerds qui jouent les durs et les mecs du quartier qui ont grandi en le devenant, des durs, est incomplète. Je sais de quoi je parle de deux points de vue diamétralement opposés. D’abord, je sors d’un quartier où les durs étaient monnaie courante et j’étais le nerd demi-dur. Ils savaient que je fréquentais le dojo et ils ne voulaient pas savoir ce que je pouvais faire avec un bâton à la place du sabre. Mais ce n’était pas ça qui m’a rendu la vie simple (il aurait pu me la rendre très compliquée en absence de bâton !) C’est la coopération symbiotique qui m’assurait une place de choix. Je complétais la gang : j’étais celui qui pouvait comprendre les schémas des émetteurs d’ondes moyennes qui nous sevraient de radio pirates, qui décodait les discours des politiciens, qui connaissait suffisamment de chimie pour les Molotov améliorés, qui servait d’infirmier de service parce que je n’avais pas peur de désinfecter et coudre un coup de couteau, mais qui admettait son incompétence quand le coup était trop profond. J’étais respecté pour mes connaissance et ma franchise quand je sentais mes limites et je déclarais incompétent (au moins il ne nous bourre pas le mou Prof.). A sept quartiers (gangs) alentours la coopération a joué à la faveur du nerd que j’étais. La coopération, parce que je suis partageur.

Peu de chances qu’un organisme synthétique droit sorti du labo puisse coopérer ou trouve des symbiotes. Mais la probabilité que ses gènes diffusent horizontalement et que les gènes trouvent des collaborateurs ! Alors là, ça c’est probable; non, pas probable, quasi-certain. Essayer de raisonner (et se limiter) en termes d’organismes est réducteur. Les nerds ont de l’information à partager avec les durs et c’est peut-êter ce qui est le plus intéressant. « Dumper and less adaptable? » 🙂 Who cares about the organism when the info is interesting?

Chaque miette de gène synthétique sera reprise et exploitée au mieux que les circonstances permettront. Et plus que les Life 2.0 c’est cette partie là qui me semble la plus intéressante, l’assimilation de parties de Life 2.0 par Life 1.0. L’injection dans le pool génétique du biome à l’ancienne de nouvelles constructions. Et les combinaisons qui résulteront.

Il n’est pas certain que notre espèce soit celle qui va en bénéficier au mieux et il est probable qu’il y aura des perturbation importantes du biome si certains de gènes synthétiques viendraient donner l’avantage, temporairement, à l’une ou l’autre des espèces.

Ce n’est pas la prudence que je recommanderais (quoi que, elle n’est pas superflue), et certainement pas la paranoïa des anti-OGM et du « principe de précaution » à tout bout de champ, mais l’attitude de prudence de celui qui sait que « Shit happens » et qui a également compris que « Evolution happens, just like Shit ».